Doumbouya Président… nous te réclamons à genoux (Par Ousmane Boh Kaba)

Nous revoilà dans le même théâtre, avec les mêmes acteurs et le même scénario. Un peuple en transe, des foules qui acclament, des pancartes, des slogans, des appels à la candidature. Le décor change, les visages changent, mais le texte est le même : celui d’un pays qui n’a jamais su dire non quand il le fallait. Nous avons encore tendu le micro à nos instincts les plus bas, ceux qui préfèrent l’homme fort à l’État fort, la fidélité au courage, la soumission à la liberté.

Ce n’est pas la première fois. Nous l’avons déjà fait. Nous l’avons fait avec Lansana Conté, que nous avons supplié de rester jusqu’à la mort, en criant “Conté, ton pied mon pied”, comme si la Guinée devait s’arrêter de marcher quand Conté s’arrêterait de respirer. Nous l’avons fait avec Dadis, entouré d’une centaine de mouvements de soutien hurlant “Dadis doit rester”. Nous l’avons fait avec Alpha Condé, en inventant le slogan “Alpha fô saya”, Alpha jusqu’à la mort. Nous l’avons toujours fait, avec la même ferveur, la même naïveté, la même complaisance. Et aujourd’hui, nous recommençons. Nous répétons la même pièce, en changeant seulement le nom du héros.

Nous aimons croire que nous sommes un peuple trahi. Mais à force de réclamer nos chaînes, peut-on encore parler de trahison ? Nous sommes devenus nos propres bourreaux, les artisans de notre servitude. Nous avons troqué la vigilance pour la vénération, la mémoire pour l’amnésie. Nous avons oublié nos promesses, oublié les paroles prononcées devant Dieu et devant le peuple. Mamadi Doumbouya l’avait dit, clairement, publiquement, sans ambiguïté : ni lui, ni aucun membre du CNRD, ni du CNT ne serait candidat. C’était un engagement d’honneur. Et pourtant, c’est nous, encore nous, qui venons lui dire : “Reviens sur ta parole. Trahis-nous. Nous te soutiendrons.”

Nous avons perdu le sens de la honte. Dans ce pays, la parole donnée n’a plus de poids, la loyauté n’a plus de sens, la mémoire collective s’efface au rythme des distributions de sacs de riz. Nous confondons la politique avec la charité, la souveraineté avec le clientélisme. Pour un poste, pour une promesse, pour un t-shirt, pour un plat de lafidi, nous vendons notre dignité nationale. Nous avons transformé la trahison en tradition, la manipulation en habitude, et la lâcheté en culture politique.

Chaque génération promet de ne pas recommencer, et chaque génération recommence avec plus d’ardeur. Nous avons applaudi Conté, puis Dadis, puis Alpha, et maintenant Mamadi. À chaque fois, nous jurons que cette fois-ci, c’est différent. À chaque fois, nous croyons que le prochain sera meilleur, plus juste, plus sincère. Et à chaque fois, nous tombons dans le même piège : celui du sauveur providentiel, ce mirage politique qui nous empêche de grandir. Nous n’apprenons rien, nous ne retenons rien. Notre mémoire est un tamis, notre conscience une ombre.

Et pendant ce temps, la Guinée tourne en rond. Nos routes sont pavées de promesses non tenues, nos écoles de mensonges, nos hôpitaux de désespoir. Nos bébés disparaissent dans nos maternités. Nous continuons à croire qu’un homme seul peut réparer ce que des décennies de lâcheté ont détruit. Nous continuons à rêver d’un héros au lieu d’exiger des institutions fortes. Nous ne voulons pas de République, nous voulons un roi. Nous ne voulons pas de justice, nous voulons un bienfaiteur. Nous ne voulons pas de liberté, nous voulons un maître.

Alors oui, Mamadi, sauve-nous… encore. Sauve-nous de notre mémoire courte, de notre peur de penser, de notre incapacité à dire non. Sauve-nous de ce besoin maladif d’être gouvernés par la même main qui nous frappe. Sauve-nous, une fois de plus, pendant que nous dansons sur les cendres de notre dignité.

Mais au fond, qui doit sauver qui ? Ce n’est pas Mamadi qu’il faut accuser, c’est nous. Ce n’est pas lui qui trahit, c’est nous qui exigeons la trahison. Ce n’est pas lui qui ment, c’est nous qui aimons qu’on nous mente. La vérité est simple, brutale, insupportable : nous ne voulons pas être libres. Nous préférons nos chaînes bien dorées à la responsabilité de la liberté.

Alors voilà, nous y sommes encore. Un nouveau sauveur, les mêmes acclamations, la même histoire qui se répète sous un autre uniforme. Nous crions “Mamadi, sauve-nous !” comme hier nous criions “Alpha, sauve-nous !”, “Conté, ton pied mon pied !”, “Dadis doit rester !”. Nous avons remplacé la lucidité par la loyauté aveugle, la dignité par l’adoration. Et pendant que nous supplions nos bourreaux de nous délivrer, la Guinée s’enfonce un peu plus dans la nuit de la résignation.

Le vrai drame, ce n’est pas qu’on nous trahisse. Le vrai drame, c’est que nous réclamons la trahison à genoux, avec le sourire, comme un privilège. Un jour, peut-être, nous comprendrons que personne ne viendra nous sauver, sauf nous-mêmes. Mais pour cela, il faudra enfin se lever, et dire non. Pas non contre un homme, mais non contre l’habitude de dire oui à tout.

Alors oui, Mamadi, prends le trône que nous t’offrons à genoux. Oui, installe-toi confortablement dans le fauteuil que nous avons décoré de notre servitude et de notre aveuglement. Oui, gouverne comme nous t’avons supplié de le faire, pendant que nous dansons sur les ruines de notre dignité, applaudissant tes pas au rythme de notre propre soumission.

Mais souviens-toi : ce trône que nous t’offrons n’est pas un gage de légitimité, c’est un miroir. Un miroir qui nous renvoie à notre honte, à notre complicité et à notre habitude de demander la trahison à genoux. Nous avons appris à adorer le pouvoir plutôt que la liberté, à aimer la domination plutôt que la justice.

Et tant que nous resterons agenouillés, nous continuerons de fabriquer nos tyrans, encore et encore. Alors prends le trône, Mamadi… et regarde bien le peuple qui l’érige pour toi. Car ce n’est pas toi le véritable maître de la Guinée. C’est nous. Et tant que nous ne dirons pas non, cette pièce recommencera inlassablement, avec le même spectacle, le même peuple, les mêmes tragédies.

Ousmane Boh KABA

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Facebook
Facebook
YouTube
%d blogueurs aiment cette page :