En attendant le changement ! (Par Tibou Kamara)
De tout temps, le remaniement ministériel a fasciné les Guinéens qui en attendent toujours beaucoup plus qu’il n’en faut, et en espèrent tant.
Chaque fois qu’il a eu lieu, il semble produire l’effet d’une douche froide. Si l’on ne conclut pas que la montagne a accouché d’une souris, on se désole d’une tempête dans un verre d’eau.
Avant la “révolution de palais” du 5 septembre 2021, les mêmes ministres avaient été reconduits dans le gouvernement, parfois aux mêmes fonctions. On avait parlé de routine, voire d’immobilisme rampant.
Que voit-on aujourd’hui encore ? Les ministres sont-ils devenus plus amovibles, le gouvernement est-il plus mouvant que par le passé ?
Est-il donc si difficile de nommer des ministres ? D’en trouver ?
On avait aussi pointé le nombre des membres du gouvernement, jugé pléthorique, qui grèverait le budget de l’État, ainsi que la “structure bateau” qui éparpillerait les efforts et diluerait les responsabilités. Que constate-t-on encore ? Fait-on mieux ?
Ironie de l’histoire : ceux qui n’ont pas cessé de réclamer des équipes restreintes et d’exiger une gouvernance vertueuse occupent les premiers rôles dans la transition et en sont les éminences grises. Que font-ils de leurs sermons enflammés et de leurs résolutions philanthropiques ?
« Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais » est le bréviaire qui sous-tend tous les actes manqués. Il y a toujours un avant et un après-pouvoir. Ça, tout le monde le sait maintenant.
Le remaniement ministériel intervenu le 29 juillet 2025, dans la soirée, a mis fin au vrai faux suspense d’une attente qui avait commencé à faire languir et agaçait passablement. Un changement en demi-teinte, de portée très limitée en soi, un remaniement repoussé sine die. Le décret présidentiel ne s’inscrit pas dans la rupture, mais porte la marque de la continuité avec des relents de monotonie et de “surplace”. En clair, un air de changement impossible pour l’instant et à ce stade.
À la veille d’un référendum constitutionnel, dans un contexte de crise latente ou larvée et de toutes les incertitudes, la prudence d’attendre des jours meilleurs a prévalu sur l’audace de précipiter un chambardement gouvernemental tant attendu et encore espéré : on prend donc les mêmes et on recommence, de plus belle.
2025, annoncée comme une année électorale, réduit considérablement la marge de manœuvre et limite les ambitions à court terme, parce qu’on ne peut “suivre deux lièvres à la fois”, ou, si l’on veut, faire “un match dans un autre”. Qui plus est, jusqu’ici, il n’y a pas eu de vents contraires ni d’incidents majeurs.
Ceux qui s’attendent à un remue-ménage gouvernemental devront prendre leur mal en patience. Les autres devraient, comme l’aurait dit le général de Gaulle, se contenter de “vivre dans le regret de ce qui est passé, dans l’espoir de ce qui est à venir”.
Il faut d’ailleurs comprendre que le régime compte moins sur une quelconque équipe gouvernementale, ou d’autres acteurs périphériques et insignifiants à ce tournant critique, pour réaliser “l’exploit” de se maintenir, que sur ses propres forces et ressorts intérieurs. En effet, il s’appuie principalement sur ses moyens internes, notamment l’appui de l’armée, les réseaux d’influence et les mécanismes de contrôle qu’il a mis en place. Dans la mesure où l’enjeu n’est pas de conquérir le pouvoir déjà obtenu, mais bien de le préserver des risques et périls pressentis et possibles.
Les ministres ont été presque tous rappelés “après coup”, et ce n’est sans doute pas sur eux qu’il faudra compter pour défendre et préserver un pouvoir dont ils n’ont pas contribué à l’avènement, ni ne peuvent garantir la survie. Tout au plus, ils serviront de “caution morale” et de “façade civile” ou de vitrine politique. On cherche à sauver maintenant les apparences. Le reste suivra ou ne viendra jamais.
C’est pourquoi on ne se complique pas la vie à bien choisir les ministres, ni ne se donne la peine d’aller les chercher trop loin. On fait avec ceux qu’on a sous la main ou avec des figures symboliques, sans attendre d’eux un miracle, l’essentiel étant ailleurs avec d’autres paramètres.
Un régime militaire repose davantage sur l’adhésion de l’armée et le contrôle qu’on exerce sur elle, qu’il ne dépend du génie intellectuel, de la rhétorique politique, et des “lumières” des élites cooptées çà et là, au gré des circonstances et des intérêts du moment. La reconversion n’est pas facile et peut être parfois longue, très lente et laborieuse.
La bataille politique et la compétition électorale, très scrutées et tournées vers la performance, attendront, comme toutes les mutations escomptées, dont les conditions restent à réunir et les moyens n’existent pas encore.
La promesse du changement n’est pas le changement !
Tibou Kamara