Crise politique au Mali : échec de la mission de la CEDEAO
Le mouvement de contestation au Mali a rejeté le plan de sortie de crise, proposé par les émissaires de la CEDEAO .
Dans un communiqué le M5-RFP affirme que » les propositions de solutions de la Mission de la CEDEAO ne correspondent absolument pas aux aspirations et attentes exprimées par le M5-RFP et portées par l’écrasante majorité du peuple malien ».
La feuille de route proposée par la médiation recommande en effet le maintien au pouvoir du président Ibrahim Boubacar Keita, alors que la principale revendication de la contestation est justement la démission de ce dernier.
La mission préconise aussi la mise en place d’une nouvelle cour constitutionnelle dont les membres comprendront 3 profils issus de la magistrature, 3 personnes cooptées par le président de la république et 7 personnes choisies par les forces vives de la nation, ainsi qu’un réexamen du contentieux électoral et la formation gouvernement d’union nationale.
Un plan rejeté en bloc par le mouvement du 05 juin qui a « réitéré ses demandes (…) notamment la démission de M. Ibrahim Boubacar Keita », mais la CEDEAO a fait savoir que cette démission était « pour elle une ligne rouge », selon le communiqué.
Mercredi, cette mission conduite par l’ancien président du Nigeria Goodluck Jonathan et composée de personnalités politiques et d’experts de pays de la Communauté des Etats ouest-africains (CEDEAO) est arrivée à Bamako pour une conciliation.
La délégation a rencontré les différents protagonistes de la crise avec l’objectif de faire évoluer le statu quo et rapprocher le pouvoir et les mouvements au cœur de la contestation.
Cette mission de l’organisation ouest-africaine est intervenue dans le cadre des efforts visant à désamorcer la crise et à éviter un bain de sang.
Manifestations sous haute tension
Les tensions qui secouent le Mali depuis le mois de juin ont dégénéré lors de la troisième manifestation du mouvement dit du 5 Juin qui est entré en « désobéissance civile » le 10 juillet.
Des violences entre protestataires et force de maintien de l’ordre ont éclaté vendredi dernier et se sont poursuivies tout le weekend.
11 personnes y ont perdu la vie et 158 autres ont été blessées, selon le Premier ministre Boubou Cissé. Le Mouvement du 5 Juin, de son côté, fait état d’un bilan plus lourd.
Le Premier ministre a annoncé une enquête « pour situer les responsabilités et évaluer l’étendue des dégâts ».
Ce mouvement de contestation est né il y a quelques mois lorsque la Cour constitutionnelle a inversé une trentaine de résultats, dont une dizaine au profit du parti du Rassemblement pour le Mali (RPM), le parti au pouvoir.
Depuis, les différentes revendications portées par ce mouvement qui fédère opposition, société civile, syndicats et religieux ont évolué en une seule, la démission du président Ibrahim Boubacar Keïta dit IBK et le départ du pouvoir en place.
Une vingtaine de leaders de la contestation ont été libérés dimanche soir et lundi après avoir été arrêtés la semaine dernière.
Des actes qui jusqu’ici suscitent la méfiance des leaders du M5 qui y voient des opérations de communications politiques :
»Est-ce là une provocation ou un geste de bonne volonté ? », s’interroge Me Mountaga TALL, ancien ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique.
Il perçoit dans les revendications de la contestation un combat pour la survie du Mali et ajoute : » le Mali est menacée dans son existence même aujourd’hui ».
»Ce que nous demandons, c’est la démission du président Ibrahim Boubacar Keita », martèle Me Tall.
Mais l’ancien porte-parole du gouvernement, Amadou Koita déclare que : »C’est le peuple malien qui a élu le président de la république. La loi fondamentale stipule que la souveraineté appartient au peuple tout entier. Aucune fraction du peuple, aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ».
Départ D’IBK ? la question qui divise
»Une chose est de demander le départ du président de la république, une autre est de faire face à ce départ », indique le professeur Etienne Fakaba Cissoko, directeur du Centre de Recherches d’analyse politique et économique du Mali.
»Demander le départ d’un président de la république démocratiquement élu il y a quelques années, alors même qu’en 2018 on a eu la possibilité de le faire partir, de le déposer de façon démocratique à travers les élections présidentielles, est-ce que c’est une démarche qui aujourd’hui peut nous permettre de nous en sortir ? », questionne le professeur Cissoko.
L’exigence de démission adressée au président IBK n’est pas la solution, selon lui.
»Quels sont les leviers sur lesquels on va s’appuyer en l’absence d’une Assemblée nationale, l’institution de façon générale? la constituante qui va être mise en place sous quels critères elle va-t-elle l’être et tous les leviers sur lesquels l’état pourrait rebondir comment cela va se mettre en place ? », se demande-t-il encore.
Il y a une grande partie de la population qui aujourd’hui n’a pas pris position dans ce débat explique Baba Dakono, chercheur à l’Institut d’études de sécurité (ISS), basé à Bamako.
Le chercheur estime qu’aujourd’hui l’inquiétude et l’incertitude prévalent, fondées sur la conviction qu’une démission du chef de l’état malien engendrerait une sorte de chaos :
»Ces inquiétudes se renforcent quand on voit que la rue peut prendre le contrôle. Désarroi, inquiétude et colère sont les sentiments les mieux partagés ».
Les raisons de la colère
La contestation canalise les mécontentements dus à la dégradation de la situation sécuritaire, la crise économique et sociale, les soupçons de mal gouvernance alimentés par les scandales qui ont touché différentes institutions.
» Les problèmes de gouvernance sont réels avec tous les scandales auxquels nous avons assisté. Les scandales liés à l’armement militaire, à la question des engrais entre autres font aujourd’hui qu’il y a une nécessité de changer de cap », convient le professeur Cissoko.
À cela s’ajoute les violences inter communautaires qui se sont multipliées ces dernières années endeuillant le nord et le centre du pays déjà confrontés aux djihadistes qui sévissent dans une grande partie du Sahel.
Baba Dakono raconte que la situation est telle que sur les réseaux sociaux les gens s’assurent de quelles routes sont sûres avant de sortir car certains jeunes se sont convertis en coupeurs de route en plein centre de Bamako pour racketter les automobilistes.
« Le Mali va mal »
Comme le rappelle le professeur Etienne Faka ba sissoko, il y a six mois, les Maliens se sont retrouvés dans le cadre d’un dialogue national inclusif qui a posé la question de la lutte contre la corruption et de la transparence de la vie publique, du retour de l’administration dans les régions du nord et du centre du pays, entre autres. Quatre résolutions ont été adoptées au sortir de la rencontre dont la première portait sur l’organisation des élections législatives.
Les autres résolutions prévoyaient l’organisation du référendum et le projet de la nouvelle Constitution, la relecture de certains articles de l’Accord de paix d’Alger et la garantie de la sécurité pour tous.
Six mois après, le comité de suivi de la mise en œuvre de ces recommandations n’a toujours pas été mis en place.
Un retard qu’Amadou Koita, ancien ministre des Maliens de l’extérieur impute à l’arrivée dans le pays du Covid-19.
»Covid-19 a mis le monde à terre. Cette pandémie a des conséquences terribles qu’elles soient sanitaires, économiques, sociales etc. Nous étions engagés dans la mise en œuvre mais du jour au lendemain, l’urgence était ailleurs », affirme Amadou Koita.
Avec la désobéissance civile décrétée par le mouvement du M5, des entreprises sont à l’arrêt, les services sociaux de base sont perturbés et les services publics fonctionnent au ralenti.
»Ceci risque d’avoir un impact sur les recettes fiscales du pays qui ont déjà été affectées, sur la capacité des entreprises à créer de la richesse, et donc sur la croissance économique du pays. Économiquement, le Mali va mal », se désole le professeur Cissoko.