Le fédéralisme comme solution à la crise politique systémique de la Guinée ?
La forme de notre système politique est à bout de souffle. Au lieu de faire de notre diversité socio culturelle une opportunité, il l’érige en obstacle sur le chemin de notre épanouissement collectif.
Et au lieu de favoriser un équilibre des pouvoirs, il fait du pouvoir exécutif central le coeur du système, d’où une concurrence meurtrière entre les protagonistes pour accéder à la fonction présidentielle.
Après 60 ans d’existence en tant que nation libre, la Guinée a atteint l’âge de la maturité mais très malheureusement, elle ne tire pas les leçons de son passé, même de son passé récent pour faire autrement, en vue de faire épargner à la génération future les errements du passé.
Pourtant, il y a une chose sur laquelle tous les guinéens s’entendent : c’est le PROGRES de leur pays, en partant du principe que personne n’est son propre ennemi. Il y a une autre chose par contre sur laquelle ils ne s’entendent pas du tout : c’est la METHODE pour y parvenir.
Cette méthode varie d’une formation politique à une autre. Les unes proposent notamment la présidence à vie, et les autres la stricte limitation du nombre de mandat qu’un président de la République est en droit de briguer. D’autres propositions non dites publiquement mais partagées par les grandes formations politiques font référence à la mise en avant des hommes et femmes d’une ethnie donnée à la tête de l’Etat pour la conduite des affaires publiques.
La monarchie républicaine et l’ethnocentrisme apparaissent ainsi comme les modes privilégiés de la gouvernance publique et politique. Aussi intéressants soient-ils pour ceux qui y trouvent leurs intérêts, ces deux modes ne mèneront la Guinée nulle part, ils ont prouvé leurs limites à travers les blocages institutionnels récurrents.
En effet, l’ethnocentrisme renforce comme c’est le cas maintenant les tensions ethniques avec un sérieux risque d’embrasement. Les leçons tirées dans les pays qui ont sombré dans la guerre civile montrent que la guerre a été toujours précédée de scènes de violences isolées et banalisées à caractère ethnique. Il est de la responsabilité de tous et de chacun en Guinée, gouvernants et gouvernés, de mûrir les conséquences des actes posés sur la paix civile pour éviter le pire.
L’instauration d’une sorte de monarchie républicaine permettant à un président en exercice de prolonger mon mandat à l’infini est une tradition bien ancrée en Guinée. Les deux premiers présidents de la Guinée avaient réussi cet « exploit ». Les tentatives du troisième de passer du statut d’un président de la transition à celui du statut d’un président normal avait échoué. Les intentions prêtées à l’actuel président de tenter la même chose rencontre une grande résistance dans le camp de l’opposition politique et de la société civile.
Les conséquences de ce bras de fer sur la paix civile, le développement économique et le respect des calendriers électoraux se font sentir à tous les niveaux. Sans un accord politique de sortie de crise entre le camp présidentiel et le camp adverse, la suite des événements comporte de très fortes chances de plonger la Guinée dans un cycle de violences aux conséquences inconnues. Surtout que les faucons des des bords sont disposés à ne rien lâcher.
Face à ces risques, il est temps que les Guinéens changent de perspectives et imaginent de nouvelles façons d’organiser leur société politique. Car en réalité, il est urgent pour ce pays de sortir des crises politiques à répétition qui empêchent en tout premier lieu le chef de l’exécutif lui-même de gouverner en toute sérénité. Ces crises empêchent aussi ce pays si riche d’être la locomotive de la sous-région et de compter parmi les pays émergents.
En effet, il faut bien se rendre à l’évidence que la rupture de confiance entre les ethnies qui se rejettent mutuellement lorsqu’il est question d’élection présidentielle est source de nombreux autres problèmes parmi lesquels il y a bien évidemment les tentations pour une présidence à vie.
Cette forme de présidence est non seulement symptomatique de la peur qu’inspire l’autre de l’ethnie différente, mais elle apparait aussi comme la garantie ultime contre le possible abus des ethnies « redoutées » pour une raison ou une autre.
Malgré la succession de différents présidents à la tête de la Guinée et après 60 années d’indépendance, ces craintes, loin de se dissiper, se renforcent et prennent des formes pernicieuses.
Il résulte de ce constat que la Guinée est profondément une société multiculturelle qui doit être traitée comme telle s’il faut tenir compte de ses caractéristiques propres. L’équilibre de ce pays passe forcément par l’équilibre qu’il faudrait trouver entre ses composantes socioculturelles, ses fils et ses filles de toutes les régions. Le modèle de société politique à offrir devrait donc intégrer cette complexité sur laquelle il serait suicidaire de fermer les yeux.
Les propositions de réorganisation de la société politique devraient être tout aussi audacieuses et ambitieuses, à la hauteur des défis à relever.
A mon avis, le mode de gouvernance convenable dans un tel contexte est le FEDERALISME. Il permet de diluer le pouvoir dans les veines des Etats fédéraux et de rendre l’emprise et la concurrence moins fortes sur le pouvoir central. Le fédéralisme n’est pas une nouveauté non plus. De nombreux pays, grands et petits à travers le monde fonctionnent à merveille avec : la Belgique, l’Éthiopie, la Suisse, le Canada, les USA, et plus proche de nous le Nigeria.
Les raisons d’expérimentation d’un tel modèle en Guinée sont nombreuses. Il favorise une répartition plus claire des compétences entre l’Etat fédéral et les Etats fédérés. Ainsi ces derniers, avec leurs branches exécutives et législatives propres disposeront des pouvoirs spéciaux dans certains domaines. Ils deviendront en particulier autonomes en matière du développement économique. Au même moment, l’Etat fédéral disposera aussi des compétences spéciales notamment dans les domaines de la défense, de la diplomatie et de la justice.
Le federalisme peut susciter dans notre contexte d’importants questionnements en lien avec la distribution des richesses nationales, notamment celles du sol et du sous sol. Ceci à raison du fait que les differentes regions de la Guinée n’ont pas les memes richesses. Ces doutes devraient être levés par le système de péréquation comme cela existe par exemple au Canada, qui donne au pouvoir fédéral, le pouvoir de transférer des ressources des Etats riches vers les Etats moins dotés de la fédération. Le but final étant de favoriser le développement harmonieux de l’ensemble de la fédération et d’éviter la disparité entre les Etats fédérés, source d’autres problèmes.
Bref, le fédéralisme se présente à nous comme est un mode d’organisation de la société politique tout comme le parlementarisme sur lequel la réflexion peut également porter.
Auteur : Youssouf Sylla, analyste-juriste à Conakry.