Tunisie : Rached Ghannouchi élu président d’un Parlement morcelé
Le chef historique du parti Ennahdha, arrivé en tête des législatives en Tunisie, a été élu mercredi président du Parlement. Il a bénéficié du soutien du parti de Nabil Karoui.
Il s’agit de la première fonction dans les hautes sphères de l’État de cet ancien opposant islamiste, qui avait brigué son premier mandat lors des législatives du 6 octobre.
Cette élection intervient au moment où Ennahdha se prépare à annoncer, d’ici vendredi, le nom de la personnalité choisie pour former un exécutif.
Rached Ghannouchi, 78 ans, a été élu à la présidence de l’Assemblée dès le premier tour à la majorité absolue, avec 123 voix sur 217, après un accord avec le parti libéral Qalb Tounes, de Nabil Karoui, selon plusieurs sources.
La vice présidence de l’Assemblée a d’ailleurs échu à une député de Qalb Tounes, Samira Chaouachi, élue également au premier tour avec 109 voix.
Compromis
« Au niveau de la présidence du Parlement, il y a eu un compromis entre nous et Ennahdha », a-t-elle déclaré. « On a estimé normal qu’Ennahdha demande la présidence car elle est première, et nous avons le droit d’avoir la vice-présidence car nous sommes arrivés deuxièmes » aux législatives d’octobre, a-t-elle ajouté.
C’est un compromis « pour l’intérêt de la Tunisie », a assuré un autre député de Qalb Tounes, Oussama Khlifi, sans préciser si des accords ont aussi été passés sur la composition du prochain gouvernement.
Nabil Karoui, vaincu à la présidentielle le 13 octobre par Kais Saied, un universitaire sans parti, avait pourtant tenté de se poser en rempart contre l’islamisme durant la campagne, et son parti avait exclu avec véhémence une telle alliance.
Poursuivi pour blanchiment et fraude fiscale, Nabil Karoui a accusé Ennahdha d’avoir en outre manigancé pour le faire incarcérer cet été.
Le parti d’inspiration islamiste s’est présenté lui comme le fer de lance des idéaux de la révolution de 2011, en promettant de rompre avec le passé notamment incarné selon le parti par Nabil Karoui.
Mais avec seulement un quart des sièges dans un Parlement morcelé, Ennahdha doit faire d’importantes concessions pour arriver à ses fins.
Poursuite des négociations
Cette alliance de dernière minute rappelle le « consensus » mis en place après les législatives de 2014 entre le parti vainqueur, Nidaa Tounes, et Ennahdha. Les deux formations s’étaient toutefois alliées de façon plus organisée et disposaient alors d’une très confortable majorité.
À eux deux, Qalb Tounes, qui comprend de nombreux anciens de Nidaa Tounes, et Ennahdha, ne rassemblent que 90 sièges sur 217, loin de la majorité absolue requise pour valider un gouvernement.
Ennahdha, qui a essuyé le refus de plusieurs formations clés invitées à rejoindre une coalition gouvernementale sous sa houlette, poursuit ses négociations.
« C’est possible que le chef du gouvernement soit issu du premier rang d’Ennahdha, (ou) du 10e rang d’Ennahdha (ou) des amis d’Ennahdha », a assuré Rchad Ghannouchi à la presse mercredi. « Mais il ne va pas être en dehors de ce cercle ».
Si une personnalité extérieure au parti a plus de chance de rassembler les voix nécessaires, un tel choix risque d’être mal compris par les militants Ennahdha, ce qui pourrait peser lourd sur l’avenir du parti lors du prochain congrès en 2020.
Députés novices
Conséquence d’un vote sanction visant les dirigeants sortants, Rached Ghannouchi va présider une Assemblée composée aux trois quarts de députés novices, n’ayant jamais siégé au Parlement, souligne l’ONG Al Bawsala, observatoire de la vie publique tunisienne.
« C’est l’expression d’une forte volonté de renouvellement, tout comme à la présidentielle », avec l’élection du néophyte Kais Saied, souligne Lamine Benghazi, qui suit les travaux du Parlement pour Al Bawsala.
« Il est trop tôt pour dire si cela se traduira par des politiques novatrices », ajoute-t-il.
Si la majorité gouvernementale « est constituée par une alliance entre Ennahdha et d’anciens membres de Nidaa Tounes, comme pour l’élection de mercredi, « on se retrouve dans une sorte de retour à l’identique (…) avec le risque d’accroître le désenchantement » des électeurs, selon le spécialiste.