GUINEE : le double langage du pouvoir

Après une journée de manifestation ayant paralysé une bonne partie du pays et s’étant malheureusement soldée par au moins quatre morts, de nombreux blessés et des dégâts inestimables, les autorités guinéennes se sont adressées l’opinion nationale en particulier. Mais de fait, il y a eu deux messages. L’un, au ton conciliant et s’inscrivant dans une logique d’apaisement, est du président de la République. L’autre, nageant dans le déni de la réalité et usant d’un ton belliciste et de menaces à peine voilées, est du ministre de l’Administration du territoire et de la Décentralisation. Une contradiction qui nous laisse dans l’expectative. Tant elle renvoie de la Guinée, l’image d’un navire tenu par deux commandants de bord aux destinations diamétralement opposées. Si ce n’est un jeu de rôle bien orchestré pour brouiller les pistes et distraire de même le camp d’en face.

Du communiqué attribué à Alpha Condé et rendu public à la fin de la journée de ce lundi de manifestation, on retient une main tendue à ses adversaires, qu’ils soient de la société civile ou des acteurs politiques. La rupture du dialogue, il dit la regretter et instruit en conséquence son premier ministre de relancer les travaux du comité de suivi des accords. Il consent à ce que l’on discute du parachèvement des élections locales et communautaires. Bien que la CENI ait déjà proposé une date pour les élections législatives, Alpha Condé est aussi disposé à ce qu’on rediscute du chronogramme, de manière à ce que le scrutin soit inclusif et ouvert, avec la participation de tous. Dans ce même communiqué, Alpha Condé lève aussi de fait l’interdiction de manifestation en vigueur depuis plus d’un an. Enfin, à propos de la question sensible du changement constitutionnel, il ne renonce pas certes. Mais il invite le camp d’en face à attendre jusqu’à ce qu’il en manifeste officiellement la volonté. Bref, dans ce communiqué, les concessions ne sont pas suffisantes, bien sûr. Surtout venant d’Alpha Condé, réputé dribleur par excellence. Mais elles ont le mérite de l’humilité qui les sous-tend. Plus rassurant encore, elles donnent l’impression qu’Alpha Condé n’est pas prêt à sacrifier tout, y compris son passé d’opposant ayant inspiré plus d’un.

Sauf que cette démarche conciliatrice est remise en cause quelques heures après par le ministre de l’Administration du territoire et de la Décentralisation. Dans une déclaration rendue publique par la télévision nationale, le général Bouréma Condé ramant à contre-courant du président Alpha Condé, s’exprime avec défiance, arrogance et mépris. Des victimes civiles de la journée, il n’en est point question de sa part. Il évoque davantage les attaques dont les forces de l’ordre ont été l’objet. Il s’attarde aussi sur le démantèlement par les manifestants des Points d’appui – forces mixtes – installés depuis plus d’un an dans les fiefs de l’opposition. Les manifestants, il les accable et les accuse de tous les péchés d’Israël. Annonçant le redéploiement des PA, il met en garde ceux qui tenteront d’y toucher une nouvelle fois.

Comme on le voit, entre les deux discours, c’est le jour et la nuit. Le même régime clignote à droite, pour s’engager ensuite vers la gauche. Que se passe-t-il ? Serait-ce une pièce de théâtre où les rôles sont savamment distribués aux comédiens ? Ou bien ce serait qu’Alpha Condé est en train d’être dépassé par les événements ? Peut importe l’une de ces hypothèses qui colle à la réalité. Une chose est sûre, la Guinée et les Guinéens n’en tireraient aucun salut ! Et c’est ce qui est désespérant.

Boubacar Sanso BARRY

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