Guinée. Simandou. Des experts estiment qu’il faut aller au-delà d’un communiqué officiel…
Malgré les déclarations douteuses et les effets d’annonce recherchés par le ministre des mines Moussa Magassouba, le mégaprojet Simandou semble tourner en rond, depuis que la junte militaire en Guinée a décidé de contrôler « gratuitement » 15% des actions dans le capital de la société chargée d’aménager les infrastructures.
Cette décision a totalement chamboulé les fondamentaux du projet qui comprenait à la base deux volets : un premier concernant la mine elle-même, où l’Etat guinéen avait déjà 15% d’actions gratuites ; et un second concernant les infrastructures que les partenaires, avec l’onction de l’Etat, se sont engagés à construire sur la base d’une convention BOT (Build operate and transfer).
En juin 2020, l’assemblée nationale de l’époque avait ratifié toutes les deux conventions signées par les représentants de l’Etat guinéen et de son partenaire Winning Consortium Simandou (WCS) qui avait remporté, quelques mois plus tôt, un appel d’offres international pour l’exploitation des blocs 1 et 2 (Simandou nord) auquel a pris part le géant australien Fortescue.
Dans la foulée, le groupe d’entreprises a lancé de très grands travaux (dont l’ouverture de tunnels et la construction d’un port en eau profonde à Moribayah, dans Forécariah) et injecté au bas mot 1 milliard USD dans les travaux, selon nos sources.
« La toute première manœuvre a consisté à bloquer les travaux lancés par WCS, la seule compagnie qui était vraiment active dans le projet (Ndlr : les blocs 1 et 2 sont détenus par Rio Tinto), en l’obligeant à cheminer avec son concurrent dans la zone. La seconde perturbation a eu lieu quand l’Etat a affiché sa volonté d’avoir 15% d’actions gratuites dans les infrastructures, en décidant d’arrêter brutalement les travaux. Tout cela a eu pour effet de pousser les vrais investisseurs à opter pour la prudence dans le financement de ce projet gigantesque », souligne un expert du secteur minier.
« Attendre que le consortium WCS boucle le financement de son projet, avec des engagements fermes auprès des banques et des investisseurs privés, et venir par la suite lui demander de donner 15% d’actions gratuites, ce qui a un coût réel, est difficile à comprendre », affirme cet expert.
Notre source estime qu’il aurait été beaucoup plus sage de ne pas insister sur une éventuelle part de l’Etat dans les infrastructures, surtout en phase de construction des ouvrages.
Pour soutenir ses arguments, notre source rappelle qu’en 2011, la même aventure avait été tentée (Ndlr : Avec Rio Tinto sur les blocs 1 et 2 du Simandou Sud, la Guinée voulait 51% des actions mais n’a jamais pu réunir les fonds pour avoir ce niveau de participation dans le capital de la société chargé de construire les infrastructures) mais les autorités de l’époque avaient été contraintes d’abandonner le projet face à la montagne de difficultés.
« On réclame des actions dans un business pour avoir des dividendes. Or, ce type de projet est non seulement très compliqué mais extrêmement coûteux. Il faudra attendre beaucoup (trop) d’années avant que toutes les infrastructures ne soient amorties. Alors qu’on pouvait laisser l’investisseur finaliser tous les ouvrages et améliorer les choses au fur et à mesure, par la fiscalité et les réajustements nécessaires, en fonction de la situation », estime-t-il.
Selon lui, pour au moins 15 à 20 années voire plus, c’est plutôt la vente du minerai de fer (pour lequel la Guinée a déjà 15%) qui peut être rentable.
« Ces immenses infrastructures, qui incluent un chemin de fer de plus de 650km, sont un gouffre à charges et ne peuvent être rentables qu’à long terme. Evidemment, on pourra toujours dire qu’en siégeant au conseil d’administration, cela donne un droit de regard à la Guinée mais, en vérité, cette position pouvait être négociée ou, tout au moins, exiger de la part de la société d’infrastructures une traçabilité de ses activités pour permettre un contrôle plus facile », souligne un autre expert.
Nos sources estiment que le fait de faire douter les investisseurs de la volonté de l’Etat de respecter ses engagements est à la base du retard.
« Les problèmes environnementaux soulevés ne sont pas un bon argument. Même s’il faut respecter absolument certaines normes, on ne peut pas prétendre qu’une entreprise minière est une ONG de défense de l’environnement. Dans la vie, il faut savoir faire des choix pragmatiques », affirme un propriétaire d’entreprise minière, soulignant que Rio Tinto et WCS ont utilisé le même cabinet d’études pour ce volet précis.
Le géant chinois Baowu Steel, qui portait discrètement le projet, en finançant la plupart des travaux, a dernièrement décidé de prendre le contrôle des opérations.
Les autorités guinéennes en ont profité pour communiquer pompeusement sur le sujet, laissant croire à nombre de Guinéens que ce nouveau positionnement d’une entreprise aussi importante suffisait pour lever tous les blocages.
La réalité est qu’il faudra beaucoup plus qu’un communiqué officiel ou une démarche volontariste pour faire avancer un mégaprojet d’au moins 15 milliards de dollars US qui pourrait révolutionner l’économie guinéenne.
« Il faut une approche beaucoup plus réaliste et plus pragmatique pour que ce projet soit lancé de manière irréversible », estime notre expert.
En attendant, Baowu a signé récemment des accords avec Rio Tinto pour financer certains projets dont un concernant l’exploitation d’une mine de fer en Australie.
Source : Westaf Mining