Saramady Touré écrit à Cellou Dalein Diallo : ‘’le gouvernement que tu as « dirigé » a été et demeure le plus médiocre de l’histoire de notre pays’’
Lettre ouverte à M. Cellou Dalein Diallo
Président de l’UFDG Conakry
Monsieur Cellou Dalein Diallo,
Bonjour. J’éprouve aujourd’hui un réel plaisir à vous adresser la présente pour partager avec vous quelques réflexions sur la situation socio-politique que connait notre pays.
Tout d’abord je vous saurais gré d’accepter que je vous tutoie, me sentant ainsi plus proche et donc à même de vous parler plus aisément. Ensuite vous voudrez bien tolérer cette voie de la lettre ouverte, ne pouvant le faire face-à-face, vu les circonstances et le lieu. Enfin veuillez croire en l’assurance de ma bonne foi et en mon intention de ne vouloir servir, par ce biais, que les intérêts supérieurs de notre pays.
Monsieur Cellou Dalein Diallo,
Le processus de démocratisation en cours en Guinée a été lancé en 1990, à partir d’un célèbre discours du Général Lansana Conté (paix à son âme), alors Président du CMRN1, dans lequel celui-ci annonçait un multipartisme « limité dans un premier temps à deux partis ».
Les forces vives de la nation, alors sous l’égide de deux formations politiques clandestines, en l’occurrence le RPG2 du Pr Alpha Condé et l’UNR3 du doyen Bah Mamadou (paix à son âme), ont déclenché de véhémentes protestations au lendemain de ce discours, revendiquant l’ouverture totale du multipartisme ou rien. Les échauffourées et manifestations récurrentes qui en ont découlé se poursuivirent jusqu’en avril 1992, date à laquelle le pouvoir militaire a dû concéder le multipartisme intégral.
Au nombre des partis politiques reconnus le 3 avril 1992 figurait, si ma mémoire est fidèle, l’Union des Forces Démocratiques (UFD), fondée à l’initiative, entre autres, de Messieurs Bah Oury et Abdoul Diallo (ce dernier étant un banquier travaillant à l’époque à l’UIBG).
Suite à la reconnaissance des partis politiques, les fondateurs de l’UFD auraient d’abord consulté M. Siradiou Diallo (paix à son âme), et plus tard le Pr Alfa Sow (paix à son âme également), pour prendre la tête de leur formation politique. Ce dernier l’aurait accepté volontiers mais, une brouille, dont j’ignore l’origine, ne tarda pas à éclater au sein de l’UFD, provoquant la scission du parti en deux nouvelles formations, d’où la naissance de la branche UFDG (Union des Forces Démocratiques de Guinée).
Toujours sous la houlette de M. Bah Oury et de ses associés, l’UFDG a continué à prendre une part active aux manifestations et autres événements organisés par l’opposition guinéenne, sous l’égide du principal parti de l’opposition d’alors, le RPG de l’opposant historique Pr Alpha Condé.
À la veille de l’élection présidentielle de 1998 et afin de mieux se préparer pour cette échéance, le PRP5 de M. Siradiou Diallo et l’UNR du doyen Bah Mamadou ont fusionné pour former l’UPR6, avec comme seul candidat à la présidentielle, M. Bah Mamadou. Le régime du PUP7 préparait alors l’arrestation du candidat du RPG, Pr Alpha Condé, dont la victoire en 1993 face à son candidat avait laissé de très mauvais souvenirs. Il fallait donc empêcher cet opposant impénitent et audacieux de « récidiver », au risque de décrédibiliser à jamais le vieux Général. Ainsi dit ainsi fait, le Pr Alpha Condé a été arrêté en décembre 1998, avant même la proclamation des résultats provisoires d’une élection à laquelle il était candidat, sur instructions d’un autre candidat à cette même élection, en sa qualité de député de la République et sans jamais bénéficier de la levée de son immunité parlementaire. La suite on la connait…
Monsieur Cellou Dalein Diallo,
Je fais tout ce rappel pour montrer que notre jeune démocratie, malgré ses nombreuses insuffisances, a connu tout de même des progrès importants, voire considérables. En effet, le Pr Alpha Condé gouverne aujourd’hui le pays avec certains de ses anciens géôliers, il n’a pas et n’aura jamais l’intention d’arrêter un candidat à une élection à laquelle il est lui-même candidat, on ne peut plus se permettre d’arrêter un député de la République sans lever son immunité, le chef de l’État ne refuse plus de rencontrer ses opposants, le statut même de chef de file de l’opposition est légalisé, son titulaire grassement pris en charge par le budget de l’État et sa sécurité assurée par le gouvernement.
Monsieur Cellou Dalein Diallo,
Ces faits que je rappelle à nos bons souvenirs t’ont trouvé, toi, de l’autre côté de la barrière. En effet, le 10 juillet 1996 te voilà nommé, venu de nulle part et pour la première fois, dans le gouvernement de M. Sidya Touré, actuel leader de l’UFR8, en qualité de ministre des Transports. La rumeur disait alors que ce fut par le truchement de M. Ibrahima Kassory Fofana, actuel Premier ministre, chef du gouvernement. Qu’à cela ne tienne, j’ai éprouvé à l’époque, moi, un grand plaisir à faire ta connaissance et à travailler à tes côtés, à partir du 21 juillet 1997, en ma qualité de Directeur du CEGEN9, et toi, en ta nouvelle qualité de ministre des Équipements. Un important conglomérat de ministères dont le Général Lansana Conté t’a gratifié, un an et deux semaines jour pour jour, après ton entrée au gouvernement. Une fusion de départements et de secteurs, d’ailleurs, sans précédent dans l’histoire de l’administration publique guinéenne !
En effet, le ministère des Équipements regroupait les ministères des Transports et du Tourisme, des Travaux publics, des Télécommunications, de l’Urbanisme et de l’habitat, de l’Environnement. Tu en as assumé la tutelle, je crois, pendant sept (7) longues années. Une longévité enregistrée également comme un record sous la Deuxième République.
Comme si tout cela ne suffisait pas, le Général te renouvelle sa haute confiance en t’élevant, cette fois-ci, à la prestigieuse dignité de Premier ministre, chef du gouvernement. Au total, après onze (11) années de fonctions ministérielles cumulées, tu auras battu tous les records de longévité au gouvernement sous le régime du PUP. Mais en tant que Premier ministre, le gouvernement que tu as « dirigé » pendant environ deux ans, a été et demeure le plus médiocre de l’histoire de notre pays, avec un bilan négatif. D’abord parce que dès ta nomination, tu as réussi à le diviser en trois clans : les « pro-Cellou » qui t’obéissaient, les « anti- Cellou » dirigés par M. Fodé Bangoura alors puissant Ministre-secrétaire général de la Présidence et les « neutres ». Ensuite parce que toute l’action de ce gouvernement s’est résumée en une querelle intestine autour de la quatrième licence de téléphonie mobile10. Enfin parce que ton gouvernement a fini par être dissout et toi-même limogé « pour faute lourde ».
Soit dit en passant, on est en droit de se demander pourquoi le clan proCellou de ton gouvernement, avec ton appui, s’obstinait à vouloir céder un marché de l’État à un soumissionnaire moins-disant de 10 millions $US, de surcroit provenant d’un pays qui n’avait visiblement ni la compétence technique ni le savoir-faire en la matière. De même, l’opinion guinéenne reste toujours à ton écoute pour savoir ce que recouvre l’expression « pour faute lourde » de ton décret de limogeage. Les bonnes manières commandent que l’on apporte les éclairages nécessaires à ce genre de questions avant de se lancer en politique et avant de demander à ses concitoyens leurs suffrages.
Monsieur Cellou Dalein Diallo,
La politique n’est pas une affaire d’amateurs ni de spéculateurs. Contrairement à une idée répandue, elle est bien une science qui mérite qu’on y consacre toute une vie. Une science que l’on étudie sur les bancs d’universités parmi les plus prestigieuses au monde.
Au début des années 1990 et du processus démocratique en cours, une des chances de notre pays aura été de compter sur la contribution de certains de ses meilleurs fils, parmi lesquels figurent les défunts Bah Mamadou, Siradiou Diallo, Jean-Marie Doré (paix à son âme) et, bien sûr, le Pr Alpha Condé. À travers leurs partis politiques respectifs, ils se sont opposés au pouvoir militaire en place dans le cadre d’un combat d’idées, certes farouche, mais dans une atmosphère politique saine. Ils savaient faire la différence entre les options politiciennes d’un gouvernement et les intérêts supérieurs de la nation. Bref, il s’agissait d’une opposition responsable, une opposition républicaine.
Or de nos jours, depuis ton irruption sur la scène politique, notre processus de démocratisation semble amorcer un virage dangereux. Les valeurs ancestrales de la nation s’effritent tandis que le pays perd petit à petit ses repères et s’enfonce chaque jour dans la violence. Dans les marches et autres meetings organisés par l’opposition que tu diriges, ou plus exactement par ton UFDG, jamais la violence n’avait atteint un tel paroxysme. Jamais notre pays n’avait été aussi divisé. Jamais le pays n’avait connu la paralysie totale ou partielle de toute une partie vivante de la haute banlieue de la capitale, allant de Bambéto à Kagbélén, le long de l’une des principales artères de la ville, sur près de 11 km de parcours. Certains l’appellent aujourd’hui, à tort ou à raison, l’axe du mal. Jamais les jeunes de notre pays n’avaient été aussi instrumentalisés par une formation politique. Plus exactement, jamais les jeunes Peuls de ces quartiers chauds n’avaient été ainsi dressés contre leurs frères Malinkés, Soussous et Forestiers. Devons-nous continuer à vivre ainsi dans notre pays ? Je réponds résolument NON ! Jamais l’UFDG, en tant que formation politique reconnue, n’avait connu un tel degré de radicalisation ni n’avait créé en son sein une structure appelée « Section cailloux », où toute une milice est formée aux maniements d’armes de tous genres. Ce qui, soit dit en passant, constitue une violation grave des lois et règlements en vigueur. Enfin, dans ce pays, hormis le cas survenu à l’UFDG, jamais il n’y a eu mort d’homme, par balles, dans une assemblée régulière d’un parti politique à son propre siège, en l’absence de toute force armée.
Monsieur Cellou Dalein Diallo,
Pour paraphraser une grande dame de notre pays « On ne fait pas l’histoire avec des valeurs négatives. La trahison, le mensonge, le tribalisme sont des valeurs négatives ». La politique n’est pas une lutte fratricide mais un débat d’idées où la force de l’argument l’emporte sur l’argument de la force. Voilà l’attitude qu’a toujours adopté celui face auquel tu te glorifies d’être aujourd’hui le challenger, je veux nommer le Président de la République, Pr Alpha Condé. Il est le seul leader politique de notre pays, des années 1990 à nos jours, à avoir étudié la politique. Jusqu’à obtenir un diplôme académique délivré par une université comme La Sorbonne. C’est nanti de son diplôme de Sciences-Po et de quarante années d’expériences en matière de lutte politique qu’il a choisi de rentrer au bercail, un certain 17 mai 1991, pour se mettre au service de son peuple.
De cette date à nos jours, je crois que le Pr Alpha Condé et sa formation politique, maintenant RPG – Arc-en-ciel, ont suffisamment donné la preuve qu’on peut faire la politique autrement. Ils ont organisé les marches les plus géantes de l’ère multipartite en Guinée, en soulevant parfois des foules de plusieurs centaines de milliers de personnes. Des marées humaines dont la tête, sur l’Autoroute, atteignait très souvent Sankhoumbaya lorsque la queue traine encore sur l’esplanade de l’aéroport. Ces marches grandioses n’ont pas enregistré, loin s’en faut, les casses, les pillages et autres tueries que connaissent aujourd’hui les petites marches bruyantes et violentes que tu organises sur Leprince. Évidemment, le tonneau vide fait toujours du bruit…
Monsieur Cellou Dalein Diallo,
Pour terminer, je m’en vais te proposer une espèce de deal politique, sans en avoir pour le moment l’autorisation. En tant que militant du parti au pouvoir, je pourrais intercéder auprès de la Direction nationale du RPG – Arc-en-ciel, si l’UFDG en faisait la demande, afin qu’elle accepte que notre parti forme les responsables, cadres et militants de ton parti, y compris toi-même, à l’usage correct de la chose politique, pour faire ainsi de vous une opposition républicaine. Si une telle proposition rencontrait ton agrément et celui de la direction de l’UFDG, n’hésitez point à me le faire savoir.
Dans cette attente, je te remercie de l’attention et du temps que tu prends à lire la présente, et te prie de recevoir l’expression de ma considération.
Le 15 décembre 2019.
Dr Saramady Touré
Membre du Bureau politique du RPG – Arc-en-ciel.