Candidature à un troisième mandat, le pari risqué d’Alassane Ouattara

Le chef de l’État ivoirien a officialisé jeudi sa décision d’être candidat à la présidentielle d’octobre. Un choix par défaut, qui n’en reste pas moins risqué.

À 78 ans, dont neuf passés à la tête de la Côte d’Ivoire, Alassane Dramane Ouattara (ADO) a donc décidé de rempiler. Au lendemain de son discours prononcé à l’occasion du 60e anniversaire de l’Indépendance, les réactions à l’officialisation de sa candidature à un troisième mandat dessinent les contours d’une Côte d’Ivoire divisée. D’un côté, des partisans globalement soulagés de voir le chef de l’État défendre les couleurs du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). De l’autre, une opposition qui dénonce une candidature à ses yeux illégale. Entre les deux, une opinion publique inquiète.

Tout au long de sa carrière, Alassane Ouattara a toujours accordé une grande importance à l’image qu’il renvoyait, notamment auprès de la communauté internationale. Il souhaitait l’utiliser pour jouer un rôle de sage, celui que l’on consulte lors des médiations ou lors des grandes conférences, et que les grands groupes mondiaux s’arrachent. Il devait, dans cette optique, parachever en juillet la création d’une fondation pour le climat et la bonne gouvernance.

En décidant de briguer un nouveau mandat pour combler le vide créé par le décès d’Amadou Gon Coulibaly (AGC), candidat du RHDP et dauphin désigné, prend le risque de ternir son héritage. « Alassane Ouattara joue gros. Dans son discours, il a justifié sa décision par sa volonté de préserver la paix. Mais au contraire, il y a un risque que la situation se détériore et qu’il rate sa sortie », estime une source diplomatique occidentale. Un sentiment partagé par de nombreux observateurs.

Rivalités au sein du RHDP

« Le président n’avait pas le choix. Toute autre décision aurait fait imploser son camp », explique un de ses conseillers. Les jours qui ont suivi le décès d’Amadou Gon Coulibaly, les fragilités du RHDP ont resurgi au moment de désigner un nouveau Premier ministre. Plus qu’un poste, c’est l’après ADO qui se jouait entre Hamed Bakayoko, Patrick Achi et Adama Bictogo, trois personnalités sur qui le chef de l’État s’appuiera lors de la campagne électorale. Malgré la nomination de Bakayoko à la Primature, les rivalités demeurent importantes.

APRÈS LE DÉCÈS D’AGC, LE RHDP A SENTI QU’IL POUVAIT TOUT PERDRE

Pour une majorité des cadres du parti au pouvoir, la candidature d’Alassane Ouattara était donc la seule à même d’atteindre leur objectif : l’emporter dès le premier tour au soir du 31 octobre.

« Après le décès d’AGC, le RHDP a senti qu’il pouvait tout perdre. Cette obsession à se maintenir au pouvoir est symptomatique d’une manière de gouverner qui créée le sentiment d’obligation de s’y maintenir. Si les proches du chef de l’État ont insisté pour que Ouattara se représente, c’est qu’ils craignent que leur situation personnelle et leur prospérité soient menacées en cas d’alternance », juge Gilles Yabi, politologue et fondateur du think-tank Wathi.

Cartographie électorale bouleversée

En octobre prochain, Alassane Ouattara aura comme principal adversaire l’ancien président Henri Konan Bédié. Au premier tour de la présidentielle de 2010, ADO l’avait devancé de 6 % (32,1 % contre 25,2 %). Depuis, la cartographie politique ivoirienne a quelque peu évolué. Si le RHDP a pioché des cadres dans les rangs du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), il ne peut plus compter sur le soutien de plusieurs anciens éléments importants de son dispositif : Guillaume Soro, Daniel Kablan Duncan ou encore Marcel Amon Tanoh. Ce dernier s’est d’ailleurs déclaré candidat, au même titre qu’Albert Mabri Toikeusse.

« Entre 2010 et 2015, Ouattara a gagné 150 000 voix. Et lors du scrutin de 2013, le RDR [Rassemblement des républicains, NDLR] avait recueilli 38,70 %, contre 30,16 % pour le PDCI. Cinq ans plus tard, le RHDP a conforté son avance, avec 39,87 % des voix, contre 21,85 % pour le PDCI », précise le Français Christian Bouquet, professeur de géographie politique à l’université de Bordeaux, qui compile les résultats des scrutins ivoiriens depuis 2000.

« Il faudra aussi analyser d’où viennent les 900 000 électeurs qui se sont récemment enrôlés sur la liste électorale. Enfin, dans une élection où le vote est encore régionalisé et très personnalisé, le rôle de chacun va être scruté à la loupe. La question est de savoir si Bédié est capable de mener une campagne dynamique et de fédérer toute l’opposition », poursuit-il.

Crainte de tensions

Si son bilan économique parle pour lui et qu’il reste très populaire dans son bastion du Nord, ADO demeure clivant aux yeux d’une partie de la population, notamment les électeurs du PDCI et du FPOI, qui lui reproche son manque de dialogue et l’échec de la politique de réconciliation nationale.

Surtout, il risque de braquer contre lui ceux qui s’opposent par principe à l’idée d’un troisième mandat. Selon un sondage d’Afrobarometer-CREFDI, publié en novembre 2019, 78 % des Ivoiriens interrogés affirment qu’il faut limiter la fonction présidentielle à deux mandats consécutifs.

« La question est de savoir comme ce rejet va s’exprimer : dans les urnes ou dans la rue où l’opposition cherchera à mobiliser », interroge une source sécuritaire ivoirienne. Dès le lendemain de l’annonce de Ouattara, des mouvements d’humeur ont été signalés. Vendredi 7 août au matin, des jeunes manifestants ont brièvement érigé des barricades à divers endroits d’Abidjan et à Bonoua, à l’est de Grand Bassam, avant d’être dispersés. « Nous nous attendons à des tensions, mais ça ne sera pas l’apocalypse », espère-t-on dans l’entourage d’ADO.

Par Vincent Duhem

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